mardi 18 novembre 2008

Le Surnaturel

Penser le surnaturel Sorbonne 2008/2009
Serge Tribolet Psychiatre des hôpitaux, Docteur en philosophie
(notes et adjonctions de J.L. Dumoulin)


Introduction

Penser le surnaturel, ce n’est pas aller vers l’irrationnel, c’est mener une réflexion fondée sur le réel même si Hegel a dit « ce qui est réel est rationnel et ce qui est rationnel est réel ».
Pascal lui dénonce 2 attitudes extrêmes, exclure la raison et n’admettre que la raison (« il n’y a rien de plus conforme à la raison que ce désaveu de la raison… » ).
Spinoza rejette avec force toute idée concernant l’existence d’esprits, spectres, visions et autres « niaiseries »….Il rejette également l’idéalisme de Socrate et Platon, lui préférant la pensée de Démocrite…
Le surnaturel ne s’inscrit pas dans un domaine particulier mais dans une certaine perspective qui peut s’étendre à tous les domaines. On évoquera ainsi le surnaturel, en médecine (psychiatrie), dans la littérature (la poésie), la linguistique (naissance de l’écriture), les mathématiques, la physique…
Prenons l’exemple de la psychiatrie et plus spécifiquement de l’hystérie. L’hystérie est une manifestation que la science positiviste ne comprend pas, elle qui privilégie le comment au pourquoi. Les particularités de l’hystérie sont les suivantes :
- absence d’organicité dans les symptômes, par exemple perte de la vue sans aucune affection ou lésion
- absence de logique anatomique ou physiologique, par exemple paralysie sans implication du système nerveux.
-les symptômes affectent des organes de relation/ de communication avec les autres
-« la belle indifférence » du « malade » à ses symptômes, « il s’en fiche »
-la complaisance somatique, le « choix » du symptôme est orienté par une fragilité préexistante, par exemple paralysie des jambes survenant après une fracture
-théâtralisme (mise en scène inconsciente), les symptômes cessent dès qu’il n’y a plus de spectateur.
L’hystérie a conduit Freud à la notion d’inconscient.
L’inconscient n’est réductible ni à la biologie, ni à la psychologie ni au social. Il ignore la mort et ne répond à aucune catégorie spatiale. Sa spécificité est autre et demande à ce qu’ une autre porte soit ouverte, celle de la surnature de l’homme dans laquelle se situent la foi, l’art, la folie… .Socrate dont la maïeutique anticipe la psychanalyse distingue dans Phèdre 4 espèces de délires divins qui s’associent à cette surnature de l’homme. Après avoir écarté 2 types de délire d’origine organique dont l’ivresse, il distingue :
le délire prophétique, la divination, relié à Apollon en son sanctuaire de Delphes
le délire initiatique dont le Dieu tutélaire est Dionysos (les ménades…)
le délire artistique avec les Muses
la folie amoureuse sous l’emprise d’Eros

I – Le mythe, les mythes

Apollon, Dionysos, les Muses, Eros….nous renvoient à la mythologie grecque. Qu’est-ce qu’un mythe ?
La philosophie prend constamment ses distances par rapport au mythe et pourtant il existe une grande proximité entre les deux.
Le mot mythe prendra son sens actuel à partir de Platon. Le mythe est le récit d’une histoire transmis de génération en génération dont le contenu repose sur des faits non- vérifiables ou non-avérés. Au sens moderne le mythe est une sorte de fiction à laquelle certains peuvent incliner à croire. Autant le mythe est pour le moderne quelque chose de « faux » autant il est possible de montrer qu’il n’y a rien de plus vrai que leurs mythes pour les populations dites « archaïques » (Mircea Eliade). Platon, pourtant contempteur de la mythologie, va dans ce sens, « les mythes, il faut croire ce qu’ils racontent ».
Le mythe ne se situe pas dans le domaine de la véracité des faits. Cette véracité n’intéresse ni les artistes, ni les philosophes, J.J. Rousseau écrira : « commençons par écarter tous les faits.. ». Alors que la vérité adresse l’infini, la véracité ne trace que des faits limités et contingents.
A côté des « mythes » modernes, les mythes anciens subsistent dans notre vie de tous les jours sous des formes dégénérées et dans des mots que nous utilisons quotidiennement et qui trouvent leur source dans la mythologie gréco-romaine, Il en va ainsi, par exemple, de narcissisme, panique, médusé, océan, psychisme, iris, titanesque, minerve, priapisme, aphrodisiaque, nymphomane, hermétique, échographie, cerbère, martial ….
Le mythe renseigne les hommes sur la nature, phusis. Le mythe atteste que quelque chose existe bel et bien, une chose, un animal, un événement, les saisons… un astre, une constellation, le monde… dont les manifestations sont consistantes et durables. En ce sens le mythe fonde et en même temps explique la nature, l’expérience humaine. Le monde n’est pas illusoire et ses manifestations ne sont pas transitoires. Les mythes parlent du pourquoi en disant le comment .Ce faisant ils pérennisent le monde aux yeux d’hommes « primitifs » éprouvant avec acuité la précarité de leur existence et lui donnent un sens.
Le mythe atteste de l’origine du monde (mythe cosmogonique) ou de l’apparition de la vie, de l’homme et de sa destinée (mythe de création). Il apaise les interrogations, les craintes que l’homme « primitif » nourrit à l’égard de ce qui l’entoure et de son propre sort. En ce sens les philosophes présocratiques continueront son oeuvre. Il s’agit pour eux d’apprendre la réalité, la vérité à travers l’étude et la réflexion sur la nature, pour eux le « savoir est extérieur ».
Socrate, lui, non seulement dira que l’homme connaît à partir de l’intériorité, c’est la priorité au « connais-toi toi-même » mais aussi qu’il faut mettre les mythes de côté , que la philosophie commence quand les oracles se taisent, que l’esprit se réfléchit sur lui-même et (qu’alors)les Dieux se taisent.
Cependant, paradoxalement, Platon dans son « Phèdre » et avec lui Socrate fait un retour vers le présocratisme et exprimera sa pensée sous forme de mythe. Si dans une première partie du texte il énonce un discours très rationnel concluant que l’amour, en tant que passion, est mauvais car c’est un obstacle sur le chemin de la philosophie ; dans la deuxième partie du texte, réalisant qu’il a blasphémé vis-à-vis du Dieu de l’amour il tient un discours élogieux sur Eros, célèbre l’immortalité de l’âme et « dit » le mythe des 2 chevaux ailés, l’un blanc, l’autre noir.
Dans Phèdre Platon célèbre la nature en tant que lieu sacré et nous parle de l’esprit des lieux, la nature a une âme. Le site et le Dieu qui l’habite précède l’édification du temple qui lui sera dédié, de même que l’oracle, en tant que site, est résidence du Dieu. Lorsqu’on se tourne vers les origines, la nature est le texte du message divin, le savoir est alors bien extérieur. Dans Phèdre Socrate effectue un parcours spirituel, remontant, à l’heure sacrée, le cours du ruisseau vers sa source, reprenant le mythe des cigales et écoutant le platane divin renonce à la philosophie et approche de la transe dont il fait l’éloge en tant que don des dieux.

Le mythe apparaît ainsi comme un vestige d’une ancienne connaissance, d’une sagesse antique cryptée. En termes modernes on parlera d’une pensée aliénée par le Dieu et la nature par rapport à une pensée autonome à l’homme lui-même.
Par opposition la philosophie, pour Platon, est une réminiscence, celle d’une âme qui a connu les « intelligibles » dans un autre monde et qui revient sur terre et se rappelle.
Dans la philosophie socratique et le « connais-toi toi-même, l’oracle est intérieur et propose des questions qui sont autant d’énigmes. La plus fondamentales d’entre elles étant celle de la pensée réflexive : « je pense que je pense que je pense que je pense…. ». Dans une telle suite, comme avec deux miroirs qui sont face à face le regard et la pensée se perdent vers un point de convergence aveugle sur lequel… le mythe se tient.
Ainsi, la philosophie prend constamment ses distances par rapport au mythe et pourtant il existe une grande proximité entre les deux.
Cette proximité en engendre d’autres et c’est la raison pour laquelle Platon a écrit « pour nous, c’est Dieu qui doit être la mesure de toutes choses » en opposition à la célèbre assertion de Protagoras ; Saint Augustin lui nous dit «crois et tu comprendras, la foi précède et l’intelligence suit ».
A la fin du « Banquet », au chant du coq, Socrate nous dit « sortons », comme dans « Phèdre » il nous dira « allons marchons ».


II- La divination


Les « Anciens » avaient le même mot pour la divination et la folie (manteïa et mania).
Socrate a déclaré que « c’est sous l’emprise de la folie que les prophétesses de Delphes ont le plus rendu service à la Grèce ».
La divination est omniprésente dans la culture Gréco-romaine. Elle est censée pallier aux insuffisances de l’esprit humain en lui permettant de connaître ce qu’il ne peut connaître par ses propres forces. Elle s’étend non seulement à l’avenir mais aussi et peut-être encore plus au présent et au passé. Il s’agit de connaître la volonté des Dieux.
L’omniprésence de la divination est attestée par la racine d’un nombre considérable de nos propres mots d’origines gréco-latines. On retrouvera des racines dont le sens est lié à la divination dans des mots tels que, par exemple, fortune, sortir, oiseau, bonheur, divin, temple, sinistre, désir, foyer, manie, enthousiasme, obscène……
D’une certaine façon la divination antique s’associe à une démarche de type « scientifique » dans la mesure où Pythagore définit la science comme « la faculté de voir les signes octroyés par les Dieux aux hommes ». Or l’oracle est la réponse donnée par un Dieu à une question. Cette réponse est souvent énigmatique et en tant que signe nécessite une interprétation.
Il faut donc aussi développer une certaine « science » de la divination.
Si les réponses des Dieux sont collectées aux oracles (désignant dans ce sens le lieu où tel Dieu « parle ») par une pythie (de Delphes par exemple) ou une sibylle (d’Erythrée ou de Cumes en Italie…), les Dieux peuvent aussi s’exprimer par d’autres formes de signes,
dans les songes,
par le vol des oiseaux ( ornithomancie),
par des tremblements de terre (pour exprimer leur colère),
par des signes célestes ( éclipse de soleil ou de lune…),
par les éclairs, orages, météorites….
L’oracle peut être rendu par le son du feuillage d’un arbre ou le bruissement d’une source.
Sont également des signes envoyés par les Dieux des sons tels l’éternuement ou le hoquet .

La collecte des signes divins servant à divination peut revêtir encore d’autres modalités, comme l’observation des viscères d’animaux sacrifiés ou à partir d’un passage de livre ouvert au hasard, tels sont les oracles dits de Virgile prononcés en ouvrant un ouvrage de cet Auteur.

La divination suppose un devin. Le devin a un savoir précis. Il distingue les signes et les interprète en signification, présages.. C’est un « technicien » (… par rapport à la pythie) ; il disposera d’un manuel d’interprétation des présages, certains, les chresmologues, diffuseront des recueils de signes et d’oracles.
La divination dans l’antiquité se fonde sur l’idée de l’organisation divine du monde, impliquant une complète harmonie ou symétrie entre les différents éléments du cosmos tels que matière/esprit, ordre cosmique/destinée humaine….Le moteur et la finalité de cette harmonie c’est la beauté qui est étroitement associée au Bien, c’est ce qu’exprime le mot cosmos par lui-même.

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