dimanche 31 août 2008

La connaissance scientifique est fondée sur une succession de postulats (J.L. Dumoulin et Robert Heikes)

J.L. Dumoulin s’entretient avec Robert Heikes( 1ère partie)


(Robert Heikes est un savant de réputation internationale, élève d’Enrico Fermi, il est docteur en Physique d’une prestigieuse université Américaine et a été, entre autres, Directeur de recherche dans des Observatoires astronomiques de pointe, il vit actuellement dans le sud de la France et est le promoteur de postulats révolutionnaires tel que de celui la quantification de l'espace-temps)

JLD. Robert, avant d’en venir à tes postulats, j’aimerais que tu expliques à nos lecteurs, ce qu’est un postulat et comment les postulats font avancer la connaissance scientifique.
RH. Les postulats sont à la base de la connaissance scientifique. Ils sont une part essentielle de la méthode analytique. Trois postulats seulement et les symétries associées sont nécessaires pour expliquer tous les phénomènes après le temps de Planck (~10^-44 s après
t ≈ 0, là où la mécanique quantique et la relativité générale ne semblent plus s’appliquer.) Ce sont : la vitesse de la lumière(c), la constante de Planck (ħ), la constante gravitationnelle (G).
Les valeurs de ces trois constantes sont connues par des expériences et des mesures. Il n'y a actuellement aucune manière de parvenir à ces valeurs par des calculs théoriques.
JLD. Comment est-ce que nous arrivons à « savoir » ? En d’autres termes expliques-nous comment les savants peuvent arriver à faire avancer la connaissance scientifique ?
RH. En utilisant la méthode analytique. Je la définis de la manière suivante : suggestion de postulats, prévisions de résultats à partir de ces postulats et « vérification expérimentale » des résultats attendus.
Plus une série de postulats produira des prévisions vérifiables, plus ce ou ces postulats seront acceptables ainsi que la/les connaissances qui en découlent. Si un ensemble donné de postulats ne produit aucune prévision vérifiable, il est inutile au regard strict de l'enrichissement de la connaissance.
Si des résultats expérimentaux sont favorables à un postulat, chacun, en dehors de toute considération extrascientifique, considérera ce postulat comme plus acceptable que les postulats qui le précédaient
Un postulat ne peut pas être déduit d'autre chose. La science est entièrement basée sur des postulats qui par leur nature même sont impossibles à démontrer.
D’où nous viennent les postulats ? Nous les inventons, nous faisons des conjectures. Les postulats sont à l’origine des grands bonds de la science et de la connaissance. Il est nécessaire de trouver le plus petit ensemble de postulats qui nous permettent de comprendre un ensemble de phénomènes le plus vaste possible.
La connaissance a avancé de cette manière, elle n'est rien de plus qu'une prévision logique à partir de postulat(s). Plus clairement, une prévision découlant d’un postulat ne contient pas plus de "vérité" que ce postulat sur lequel la prévision ou théorie est elle-même basée.
Cependant, à ce stade, la méthode scientifique exige qu'on utilise ce même postulat pour prévoir des résultats plus généraux que ceux liés à l’étude de tel phénomène particulier ; car s'il ne peut en être ainsi, ce postulat est sans utilité pour la science, et il sera rejeté. Un postulat ne peut pas être avancé simplement pour expliquer un seul phénomène ! Autrement, nous aurions un nouveau postulat à chaque fait expérimental.
Si les prévisions initiales, fondées sur le postulat, sont confirmées, le postulat peut être maintenu, sinon, il sera abandonné. Mais même s’il est maintenu, la science continuera à le tester indéfiniment en faisant d'autres prévisions. Et si par hasard, une seule prévision du postulat n'est pas confirmée, le postulat sera considéré comme suspect et sera probablement abandonné.
J’insiste, la science ou la méthode analytique n'explique rien. Toute la science, en fait, toute la connaissance, est basée sur des postulats. Puisqu'un postulat n'a aucune preuve, toutes les "explications" doivent être considérées comme provisoires.
En science, il est impératif de douter. Rien n'est certain ou avéré en dehors du doute. Si nous regardons plus loin, nous constatons que les énonciations de la science ne portent pas sur ce qui est vrai ou sur ce qui n'est pas vrai, mais sur ce qui est connu avec différents degrés de certitude : il est beaucoup plus probable que ceci soit vrai et que cela soit faux. Chacun des concepts de la science est quelque part sur une échelle graduée entre le vrai et le faux. Il est très important de reconnaître l'ignorance.
JLD. Si je comprends bien, Robert, les nouveaux postulats sont souvent des généralisations d’anciens postulats.
RH. Une nouvelle théorie incorpore invariablement la théorie plus ancienne en tant que son approximation liée aux données expérimentales de son temps. La science a progressé d'une manière assez linéaire. La science est une reformulation continuelle du passé. Newton a généralisé les postulats de Galilée dont les résultats sont des approximations de ceux de Newton. Einstein a généralisé les postulats de Newton mais les résultats de Newton étaient une approximation de la théorie d'Einstein. Les résultats d'Einstein et d’Heisenberg, à leur tour, attendent leur généralisation.
JLD. Et maintenant peux-tu illustrer par quelques exemples ce que tu viens de nous dire ? Je suppose qu’il va s’agir de postulats qui fondent notre connaissance de l’univers et qui t’ont conduit à tes propres postulats ?
RH. Oui, tout a fait et surtout ce qu’il faut voir c’est que les postulats changent avec le temps. Je ne ferais pas une liste exhaustive, cela serait fastidieux pour tes lecteurs mais à la fin je te résumerai l’ensemble des postulats les plus récents. Commençons par le commencement :
Le postulat d’Euclide (environ 350 av J.-C.) : « on ne peut tracer une droite et qu’une seule passant par un point donné et parallèle à une autre droite. »
Sans ce postulat tu ne peux pas prouver que la somme des angles d’un triangle vaut 180 degrés. C’est la première tentative d’analyse de la géométrie de l’espace. Pendant 2000 ans la géométrie « Euclidienne » a été utilisée pour décrire la structure de l’univers.
Le postulat de Galilée et Newton (1600-1660 ap.J.-C.) : « Force = masse x accélération = m1a »
Ce postulat a été accepté pendant 240 ans. Rappelles-toi que c’est juste un postulat. C’est une invention de l’esprit de Newton.
Les postulats de Newton (environ 1670 ap. J.-C.) : « la force gravitationnelle est inversement proportionnelle au carré de la distance et proportionnelle aux masses. », « la masse gravitationnelle doit être égale à la masse inertielle ».

Le postulat de Riemann (environ 1865 ap. J.-C.) : « possibilité d'une géométrie non-euclidienne »
Il a eu l’idée d’ une géométrie où le postulat des parallèles d’Euclide ne serait pas valable. On peut avoir une géométrie où il n’y a pas de parallèle ou avec infiniment de parallèles. Ce sera la géométrie utilisée pour la Relativité Générale, 50 ans plus tard, en 1915. Ce sont les espaces courbes.
Le postulat de Planck (environ 1900 ap. J.-C.) : « L’énergie n’est pas continue ». La constante de Planck, ħ, est introduite.
A la fin du 19ème siècle, il y avait une difficulté dans la théorie du rayonnement de la lumière. La théorie disait que l’énergie dans l'ultraviolet devait être infinie. Cela ne pouvait pas être vrai.
L’énergie n’était pas continue contrairement à tout ce qui avait été admis jusqu’alors.
C’était le début de la Mécanique Quantique. Il a fallu un quart de siècle pour arriver à sa forme quasi définitive. C’est le travail d’Einstein, Bohr, Heisenberg, Schrödinger et Dirac.
Il est important de noter que la valeur de la constante de Planck doit être déterminée par l’expérience comme je l’ai déjà signalé en introduction. C'est donc aussi un postulat.
Le postulat d’Einstein (environ 1905 ap. J.-C.) : « la vitesse de la lumière est une constante universelle »
Albert Einstein a postulé que la vitesse de la lumière est une constante universelle et que toutes les lois de la physique sont valables dans n‘importe quel endroit de l’univers. Ce postulat a complètement modifié les postulats de Galilée, Newton et Maxwell. Il a résolu le débat entre Maxwell et Galilée. Il a montré que le temps et l’espace sont inextricablement liés. C’est la relativité restreinte.
Il est important de noter que la valeur de la vitesse de la lumière doit être déterminée expérimentalement… postulat.
Le Postulat d’Einstein (1915 ap. J.-C.) : « la masse inertielle est égale à la masse gravitationnelle. »
Albert Einstein a aussi proposé plus tard le principe d’équivalence (Relativité Générale) :
Si un homme est dans un vaisseau spatial, il ne peut pas faire la différence entre deux situations : (1) le vaisseau est en accélération et (2) le vaisseau est dans un champs gravitationnel.
C’est ce qui l’a conduit à la géométrie de Riemann et à la courbure de l'espace. Ce postulat remplace celui de Newton sur la gravité.
Il est important de noter que la valeur de la constante gravitationnelle doit être mesurée expérimentalement. C'est un postulat.
JLD. Tu nous montres bien que les postulats changent dans le temps à travers ces découvertes que nous connaissons déjà au moins par leur nom. Qu’en est-il des postulats plus récents qui t’ont conduit dans tes propres travaux?
RH. Il y a bien sûr les équations de Heisenberg, Schrödinger, Dirac qui développent la mécanique quantique.
Mais plus près de nous, il y a le postulat de Georges Gamov qui situe l’origine de l’univers au Big Bang.
Il y a aussi le postulat de l’inflation de Guth qui date des années 1980 : il apparaît que l’univers n’a pas pu commencer avec le Big Bang. Avant, il y a eu une énorme expansion de 10^50 fois. Elle se passe à 10^-34 s. après t ≈ 0. Nous sommes presque arrivés au « commencement » de l’univers.

(Suite de cet entretien dans un article ultérieur)

jeudi 28 août 2008

L'efficacité "déraisonnable" des mathématiques sur la réalité physique (L'Epistémologie d'Hervé Barreau)

Extrait de "L'Epistémologie" d 'Hervé Barreau - PUF- Que sais-je ? page 48

(Hermite, mathématicien du XIXe, écrivait : )
« Il existe, si je ne me trompe pas, un monde formé d’un ensemble de vérités mathématiques auquel nous avons accès qu’au moyen de notre intelligence , comme dans le cas du monde de la réalité physique ; l’un et l’autre sont indépendant de nous, tous deux sont des produits de la création divine, mais sont une seule et même chose au regard d’une pensée plus puissante. La synthèse de ces deux mondes se révèle partiellement dans la merveilleuse correspondance entre les mathématique abstraites d’une part et toutes les branches de la physique de l’autre »
Cette doctrine de l’identité des deux mondes, (Page 50), celui dont nous esquissons les formes et celui dont nous recevons l’empreinte à travers la perception sensible, a été reprise aujourd’hui par un autre mathématicien, René Thom , qui voit une seule dynamique à l’origines de toutes les formes, qu’elle soient en nous ou hors de nous : « La dynamique intrinsèque de notre pensée n’est pas fondamentalement différente de la dynamique agissant sur le monde extérieur ». La question, en effet, est de faire disparaître l’étrangeté de la correspondance ,soulignée par Einstein, entre des idées abstraites et des processus concrets, alors qu’il est clair que les premiers ne dérivent pas des seconds .
Hermann Weyl, qui était intuitionniste dans sa philosophie des mathématiques pures, devenait platonicien dans sa philosophie des mathématiques appliquées. Il croyait à « une harmonie inhérente à la nature qui se réfléchit elle-même dans nos esprits ».
Mais c’est encore Lautman qui a exprimé avec le plus de justesse, semble-t-il, cette harmonie cachée qu’il est difficile de mettre en rapport avec l’historique des découvertes : « Les matériaux dont est formé l’univers ne sont pas tant les atomes et les molécules que ces grands couples de contraires idéaux comme le Même et l’Autre, le Symétrique et le Disymétrique associés entre eux selon les lois d’un harmonieux mélange.
Aujourd’hui la théorie des particules élémentaires serait une meilleure illustration à cette position de Lautman que les exemples qu’il pouvait produire lui-même.
C’est qu’il n’y a pas d’explication qui pourrait rendre compte de cette efficacité « déraisonnable » selon le mot du Physicien Wigner, des mathématiques sur la réalité physique.
Elle frappe et elle séduit, comme cette beauté, dont aucun théoricien des mathématiques ne peut donner raison, mais qui n’en constitue pas moins un indice frappant d’une réalité profonde. Que cette beauté ne soit pas seulement intérieure aux mathématiques pures mais qu’elle s’exprime également dans les théories de la physique mathématique, est une raison de plus pour tenir les mathématiques comme une expression, non seulement de la raison humaine, mais d’une raison transcendante à l’œuvre dans l’Univers. C’est pourquoi, alors que le logicisme et le formalisme rendent sensible la raison humaine dans son langage propre, l’intuitionnisme rendent davantage manifeste une raison créatrice dont l’Univers est un langage qui, comme le pressentait Galilée, est en grande partie accessible à notre langue mathématique.

jeudi 7 août 2008

Pensée scientifique ou mythique par J. L . Dumoulin

Théories et mythes, une étude de cas…



Vers une cosmogonie scientifique

L’homme a chevillé au corps et à l’esprit, le besoin de percer à jour le mystère de l’origine du monde, de mettre en lumière les origines de la vie et de l’esprit. Attesté chez les Peuplades les plus « Primitives », ce désir subsiste chez l’homme « moderne ».
Cette anxiété des origines et disons le, des choses, amène à penser leur commencement, celui de l’Univers, de la vie et a suscité dans le passé lointain des hommes l’apparition de mythes, mythes cosmogoniques, relatifs à la création de l’univers, mythes de création, relatif à l’apparition de l’homme et à son destin sur terre. Certaines Populations qualifiées de « primitives ou archaïques » encore vivantes ou récemment vivantes disposent ou disposaient de mythologies.
Si pour l’homme moderne un mythe est par définition quelque chose de « faux » au sens de non établie, qui ne correspond pas à une réalité constatée ou vérifiable, pour ces Peuples dont nous parlons le mythe ou les mythes sont tout le contraire. Pour Eux les mythes fondent la réalité et on peut affirmer qu’il ne peut y avoir de chose plus « vraie », « réelle » pour ces Populations que leurs mythes.
Certes nous savons tous qu’il y a des « mythes » dans nos sociétés contemporaines. Mais il s’agit la plupart du temps de mythes qui n’ont, du moins en apparence, pas grand chose à voir avec les « grands » mythes, mythe cosmogoniques ou mythes de création de nos prédécesseurs des « temps anciens » et …révolus. Il suffit pour s’en convaincre de lire ou relire le livre de Roland Barthes « Mythologies ».
Il est possible que la notion même de « grands mythes » soit complètement désuète et presque incongrue au regard de l’accumulation des connaissances scientifiques modernes.
Même s’il y a eu plusieurs théories scientifiques qui prétendaient rendre compte de la « création » ou de l’origine de l’Univers, une a fini par accumuler suffisamment de preuves de sa probabilité qu’elle est pratiquement devenue la théorie admise . Nous savons par les journaux et aussi la télévision que la théorie du « Big Bang » a triomphé. Elle a triomphé parce qu’elle a pu « expliquer » un nombre considérable de phénomènes de ce monde que nous constatons : l’existence des éléments chimiques, des plus légers au plus lourds, la formation des étoiles et des galaxies, dans une certaine mesure, l’expansion de l’univers, ect…. Elle a été aidée en cela par les découvertes de grands Astronomes et de grands Astrophysiciens mais aussi par une association de plus en plus étroite de l’astrophysique avec la physique et plus singulièrement avec la physique des particules. La symbiose est si profonde que l’astrophysique sert de champ d’expérience à la physique et que les expériences de la physique servent à l’astrophysique. Les victoires ou les échecs de l’une constituent souvent aussi les victoire ou les échecs de l’autre. Avec un nouvel accélérateur de particules au CERN à Genève, le LHC, « prouesse expérimentale », les physiciens espèrent parachever la nouvelle physique atomique dite du modèle standard et par là même conforter la théorie du Big Bang. Anticipant à peine les événements un grand physicien Français, Michel Spiro, Directeur de l’IN2P3 du CNRS, impliqué dans le LHC, a pu affirmer que pour la première fois de son histoire l’homme entrait dans l’ère de la cosmogonie scientifique c'est-à-dire, en filigrane,… non mythologique. Très bien. (Conférence du 11/10/07 à la Cité des Sciences – Paris Porte de la Vilette)
Cette certitude va-t-elle- mettre un terme à toutes les spéculations sur les commencements et l’origine de l’Univers. Il semble que non. A l’intérieur même de la maison « science du modèle standard », un Physicien, médaille d’argent du CNRS, écrit « Le modèle standard qui est intimement associé à ces prouesses expérimentales (le « LHC ») n’est sans doute pas l’ultime théorie » (Patrick Janot in « Pour la Science » N° 361 11/07 p.104)

Cependant disposer d’un récit détaillé du Big Bang assorti d’équations qui expliquent les principaux composants et phénomènes qui forment l’ univers tel que nous pouvons le connaître voilà qui montre les progrès étonnants de la Science moderne . Néanmoins même si cette connaissance des choses donne une grande assurance à beaucoup elle ne suffit pas pour autant à tous. La voie est plus que jamais ouverte à toutes sortes de spéculation sur ce que pourrait être un principe premier de l’Univers ou sur ce qui précèderait l’Univers ou sur une pluralité d’Univers…Nous savons aussi que les mythes cosmogoniques ouvrent la voie aux mythes de création, il doit en être de même pour les théories correspondantes. Donc loin de clore le débat, cette belle certitude n’empêche pas l’apparition de théories compréhensives de l’Univers au fondement plus ou moins scientifique. Celles-ci peuvent éventuellement s’avérer un terreau fertile à l’éclosion de futurs acquis scientifiques. C’est de l’une de ces théories dont nous faisons maintenant mention.
Très compréhensive de l’univers, elle ambitionne aussi d’englober l’évolution de l’humanité. Proposée par un Physicien des Sciences de l’Univers, Monsieur François Roddier, cette théorie a été exposée dans plusieurs articles et publiés sur internet (http://www.comite83.org/agora-astronom/). Notre analyse porte plus spécifiquement sur un de ces articles intitulé :

« Où va l’humanité ? L’évolution des sociétés humaines suit les lois de la mécanique statistique. Juin 2007 »
(les textes entre guillemets sont extraits de l’article de François Roddier)

En résumé cette théorie indique
que l’univers et l’homme ne sont pas immuables mais qu’il existe quelque chose d’ invariant, l’énergie présentée « comme quantité invariante ».
Intervient ensuite un principe général qui est celui de la « maximisation de la dissipation d’énergie » par les composants de l’univers, tous présentés comme des « structures dissipatives d’énergie ». Les planètes, les étoiles, l’homme …sont des structures dissipatives d’énergie.
Cette dissipation est irréversible.
Cette maximisation est le fondement de la sélection naturelle-« la grandeur maximisée par la sélection naturelle est le taux de dissipation de l’énergie » et du phénomène d’auto-organisation-« La matière, les gènes, les cellules, les individus s’auto-organisent pour dissiper toujours davantage d’énergie. …Nous (les hommes) sommes génétiquement programmés pour dissiper toujours plus d’énergie »- .
Comprenons donc qu’en vertu des lois de la mécanique statistique, nous sommes tous autant que nous sommes dans l’univers fait pour dissiper la plus grande quantité d’énergie que nous puissions.
L’information intervient également dans cette théorie parce que « plus l’information circule, plus l’énergie se dissipe ». Il y a équivalence entre information et énergie. Chez les hommes, elle prend une telle importance que l’évolution culturelle supplante l’évolution génétique les « mèmes » (analogues mentaux du gène, unité d’information culturelle transmissible – Richard Dawkins) « contrôlent et remplacent les gènes ». Qui plus est, dans les sociétés humaines, l’énergie c’est donc l’information mais l’information n’est accessible que par le capital financier et culturel. On est ainsi amené à établir une identité entre énergie et capital financier et culturel.

L’évolution qui résulte de tout ceci se heurte cependant à des phénomènes contrariants, « Plus le système dissipe de l’énergie, plus l’environnement évolue vite et plus tôt une restructuration se produit ». On arrive ainsi à une « bifurcation » ou « point critique ». Beaucoup de ces structures dissipatives sont systématiquement attirées vers un état proche du point critique qui déclenche un phénomène d’auto-organisation, c’est la restructuration. Ce processus, général, explique beaucoup de choses, le Big-Bang, la formation des galaxies, des amas de galaxies, des superamas, des planètes, le développement d’ un embryon, l’évolution des écosystèmes, les changement de systèmes politiques, le libéralisme, la colonisation, les deux guerres mondiales… . « Il y a nécessité d’une restructuration continuelle ».

Ces restructurations peuvent s’avérer dangereuses, risquant de faire disparaître les entités concernées dans les cas extrêmes. Il est nécessaire qu’un mécanisme de reproduction très efficace se mette en place, tel que le nombre d’entités crée dépasse le nombre d’entités qui disparaissent dans la restructuration.

Ceci conduit à une population en forte croissance en ce qui concerne l’espèce humaine, à l’épuisement des ressources et à la pollution de l’environnement. L’origine de ces maux réside dans la fatalité du principe de dissipation maximale d’énergie dont la traduction courante est la croissance économique. Si la nature souffre de cette fatalité, l’homme n’est pas en reste : « le résultat c’est moins de liberté, moins d’égalité, moins de fraternité », « la densité de population continue à croître et les libertés individuelles à décroître. La société devient encore plus oppressive et répressive ».
Echapper à la fatalité du principe est-il possible ? Y- aurait-il un précédent ?
OUI ! L’ancêtre des bactéries, les procaryotes ont vécu sur terre pendant deux milliards d’années sans évolution notable, partageant la nourriture et en toute fraternité-ils sont naturellement jumeaux-, « l’idéal républicain s’applique parfaitement aux procaryotes ».
Si nous (les hommes) ne nous inspirons pas des procaryotes la fin risque d’être catastrophique. En effet, " la dégradation de l’environnement devient visible dans le temps d’une génération, signe d’un nouveau séisme à l’échelle mondiale. Le coût d’une nouvelle restructuration commence à paraître prohibitif non pas sur le plan humain mais sur le plan économique ».
« On comprend maintenant la fatalité de l’histoire. Le même processus se répète sans cesse, de façon chaque fois différente. …c’est le processus de dissipation de l’énergie. La cause de tous nos maux semble maintenant élucidée »
Il faut organiser une décroissance. Heureusement « le phénomène de production maximale d’entropie n’est qu’une propriété statistique valable pour un nombre suffisant d’éléments. Si notre planète se réduit à une société unique d’individus solidaires, il ne s’applique plus. Dans son ensemble, l’humanité reste maîtresse de sa destinée. Il suffirait donc de limiter (volontairement) notre taux de dissipation de l’énergie. Certains appellent cela le développement durable »….
Et ainsi « L’homme est enfin maître de son destin », « c’est le retour à un idéal humaniste, la renaissance des libertés individuelles, l’éducation devient une priorité majeure. Ayant atteint l’âge de raison, l’humanité est devenue adulte ».

Une dégradation est en marche
(Les citations en italique et entre guillemets sont tirées de textes de Mircéa Eliade)


Il est certainement inutile de se poser la question de savoir si nous sommes en présence d’une théorie scientifique, le champ embrassé par l’Auteur est trop large et hétérogène. La réponse tombe donc sous le sens. En dépit du caractère péremptoire du sous-titre, « l’évolution des sociétés humaines suit les lois de la mécanique statistique », on a affaire à une théorie qui ne peut se dire scientifique et qui d’ailleurs ne le revendique pas directement, prenant juste l’habit de propos scientifiques. Notons néanmoins que, par exemple, Trin Xuan Thuan mentionne dans son ouvrage « Origines ». ce type d’approche compréhensive de l’Univers à base d’auto-organisation et de bifurcations, c’est donc là quelque chose d’ avérer et de sérieux dans le domaine de la physique.


Dans cette théorie, nous trouvons une explication non seulement de l’état de l’univers mais aussi de la Condition Humaine à travers 3 principes qui en sont les fondements actifs dès « la création » du monde, le Big Bang. Ces 3 principes sont : l’énergie est un « invariant », la contrainte de dissipation maximale d’énergie, la propriété d’ auto-organisation. Depuis l’origine, le temps s’écoule avec son lot continu et inévitable de restructurations fruit de l’auto-organisation . Le temps est irréversible et semble conduire le monde et l’homme dans un avenir de dégradation. Mais toute fin du monde est pressentie comme impossible, en vertu des principes initiaux, en particulier celui de la dissipation de l’énergie, « la vie ne saurait cependant s’arrêter là car l’énergie cesserait de se dissiper… » nous dit François Roddier. Nous comprenons donc qu’il n’y a pas de fin prévisible et qu’une l’histoire se déroule qui laisse, sans qu’on nous l’exprime vraiment, le champ à un certain libre-arbitre humain. L’histoire telle qu’elle nous est présentée a pour conséquence l’accroissement inconsidéré des souffrances des hommes et de la nature, la société devient de plus en plus « oppressive et répressive ». Une machine infernale est en marche générant avant toutes choses peur et angoisse vis-à-vis du lendemain, vis-à-vis du temps.

Cette décrépitude en cours du monde rappelle certains mythes et ce qu’en dit Mircea Eliade dans « Aspects du Mythe » page 81,
« En somme, ces mythes de la Fin du Monde, impliquant plus ou moins clairement le re-création d’un Univers nouveau, expriment la même idée archaïque, et extrêmement répandue, de la dégradation progressive du Cosmos, nécessitant sa destruction et sa re-création périodiques. »
Pour beaucoup de « primitifs « le monde dégénère implacablement par le simple fait qu’il existe ».
Et dans « Nostalgie des Origines », au sujet des Indiens d’Amazonie, page 174
« Pour les Guaranis, l’humanité, aussi bien que la terre elle-même, sont fatiguées de vivre et de travailler et aspirent au repos.
« Je suis épuisée, gémissait la terre. Je suis rassasiée des cadavres que j’ai dévorés. Laissez-moi me reposer, Père. Les eaux aussi imploraient le Créateur de leur accorder le repos et les arbres… et ainsi la nature tout entière
». Rappelons que travail est un autre mot pour énergie . Nous retrouvons là l’idée de décroissance nécessaire.
Bien évidemment, nous n’assimilerons pas ces « pensées archaïques » aux concepts modernes d’entropie, de dissipation d’énergie mais peut-être à leur préfiguration.

Que nous propose François Roddier ?

Un modèle

De nous inspirer des « procaryotes », ces pré-bactéries sont ainsi promues au rôle de « héros civilisateurs » au même titre que les « héros civilisateurs » des mythologies du passé dont les comportements devaient être imités ou qui étaient à l’origine d’un savoir-faire unique et l’avaient transmis aux hommes, par exemple faire du feu, semer… . Faire du feu, semer n’allaient pas sans invoquer les mannes des « héros civilisateurs » correspondants et ainsi remonter aux temps mythiques des commencements où tout trouvait force, efficacité et réalité. Ainsi, également, l’évocation des « procaryotes » permet de retourner à la source jaillissante de toute survie, « l’idéal républicain » dont les procaryotes constituent le modèle car en effet,
« ..les Ancêtres vivaient une existence qui ignorait les inhibitions et les frustrations qui dominent toute communauté humaine organisée », « Nostalgies des Origines » page 144.

Une Société d’initiés

Atteindre ou ré-atteindre cet idéal suppose de « réduire » la planète à « une société unique d’individus solidaires » et aussi de donner la priorité absolue à l’éducation. Si cette « société unique réduite » d’individus solidaires n’est peut-être pas une société « secrète », elle est probablement une société d’initiés. Probablement a-t-elle la connaissance des 3 principes fondateurs du monde et se réfère –t-elle aux procaryotes. D’où l’importance de l’initiation, disons de l’éducation. A ce stade on peut tenter une homologation avec les rites d’initiation de peuples dits primitifs, car dans la mythologie de ces peuples le « vrai homme »n’est pas donné, les rites, l’éducation, « révèleront aux nouvelles générations le sens profond de l’existence et les aideront à assumer la responsabilité d’être un homme véritable », « Nostalgie des Origines » p. 190. Il y a là une certaine similitude avec « l’âge de raison et l’humanité devenue adulte » de François Roddier.



Un monde cyclique

Un aspect cyclique est présent dans la théorie de la mécanique statistique de l’évolution des sociétés humaines. Nous lisons que c’est « toujours la même histoire qui recommence sans fin », nous allons de bifurcation en bifurcation, de rupture de symétrie en rupture de symétrie avec ces restructurations qui sont autant de reconstruction à partir du chaos. Que l’Auteur associe en fait le chaos au libéralisme n’a aucune importance, il est évident que le chaos est tendanciellement inéluctable dans sa théorie et nous savons aussi que « la chute (la perte) de l’ordre de l’existence (telle qu’elle est) et le retour de cet ordre sont un problème fondamental de l’existence humaine. » Du point de vue de la cyclicité on retrouve ici quelque chose d’analogue à la fatalité des réincarnations successives de l’homme chez les Hindous avec son lot d’épreuves toujours recommencé. On retrouve aussi cette cyclicité dans nombre de mythologies, « les Mésopotamiens sentaient que le commencement était organiquement lié à une fin qui le précédait, que cette fin était de la même nature que le « Chaos » d’avant la création, et que c’était pour cette raison que la fin était indispensable à tout recommencement. », « Aspects du mythe » p.67
Et qui plus est « …, on croit dans la possibilité de récupérer le « commencement absolu », ce qui implique la destruction et l’abolition symboliques du vieux monde. La fin est donc impliquée dans le commencement et vice et versa » ,« Aspects du mythe » p.69.Avec François Roddier nous revenons aux sources, non seulement aux procaryotes mais aux principes mêmes de la cosmogonie, ceux de la création du monde et nous abolissons le vieux monde, incidemment incarné par « le libéralisme ». Finalement l’Auteur demande à réécrire l’histoire, à abolir le temps écoulé.
Nous pouvons vérifier ici que le mythe cosmologique (création de l’univers) sert toujours bien de modèle au mythe de création (apparition de l’hommes et de ses modes d’être).

Un monde cyclique ne connaît pas de fin du monde définitive alors que : « dans la conscience des Occidentaux, cette fin sera radicale et définitive ; elle ne sera pas suivie d’une nouvelle Création du Monde ». La « mécanique statistique » semble nous faire sortir de la conception judéo-chrétienne classique de fin du monde (définitive) pour nous faire réintégrer des conceptions qui ont été longtemps les conceptions dominantes chez les hommes et qui ont été longuement étudiées sous l’appellation d’ « éternel retour ».
Mais ceci à une autre conséquence, dans un monde cyclique, les événements et par conséquent le temps deviennent réversibles et comme le souligne Mircéa Eliade : « C’est ici que l’on saisit la différence la plus importante entre l’homme des sociétés archaïques et l’homme moderne : l’irréversibilité des événements qui, pour ce dernier, est la note caractéristique de l’Histoire , ne constitue pas une évidence pour le premier » (« Aspect du mythe »p. 26).
Là encore la « mécanique statistique » pourrait peut-être ouvrir de nouveaux horizons forts anciens.

Finalement et d’une façon plus générale la théorie de Monsieur Roddier est une explication du pourquoi et du comment du monde, en cela même elle peut être comparée à un mythe,
« En effet les mythes relatent non seulement l’origine du Monde, des animaux, des plantes et de l’homme, mais aussi tous les événements primordiaux à la suite desquels l’homme est devenu ce qu’il est aujourd’hui, c'est-à-dire un être mortel, sexué, organisé en société, obligé de travailler pour vivre, et travaillant selon certaines règles ». « Aspects du mythe »p.23
« Le mythe (par rapport aux contes et fables) lui (à l’homme archaïque) apprend les « histoires » primordiales qui l’ont constitué existentiellement, et tout ce qui a rapport à son existence et à son propre mode d’exister dans le cosmos le concerne directement. » idem p.24

Comme dans tout bon mythe « on ( y) apprend non seulement comment les choses sont venues à l’existence, mais aussi à les trouver et comment les faire réapparaître lorsqu’elles disparaissent. »

Conclusion

Evidemment ce « mythe scientiste » de la mécanique statistique n’a pas la stature des mythes anciens. La raison en est simple, il n’est pas ancré dans la plus immense et la plus libre des réserves imaginaires et symboliques, celle du surnaturel. Ce n’est pas non plus un petit mythe moderne, c’est un mythe dégénéré sans que ce qualificatif soit là péjoratif. Les anciens Dieux qui venaient nous visiter sur terre et auxquels nous rendions visite au ciel sont remplacés par des concepts, des lois de la physique, de l’idéologie et beaucoup d’assurance.

Il a quand même le grand mérite de nous rappeler que « le besoin de s’introduire dans des univers « étrangers » et suivre les péripéties d’une « histoire » semble consubstantiel à la condition humaine et par conséquent, irréductible ».Nous y voyons aussi la confirmation que « certains aspects et fonctions de la pensée mythique sont constitutifs de l’être humain ». Un merci sincère donc à François Roddier.
Monsieur Spiro sera-t-il d’accord ? Sa conférence était pourtant une bien belle histoire d’aventure.
Jean-Louis Dumoulin, Ansouis, juillet 2008

[