jeudi 28 août 2008

L'efficacité "déraisonnable" des mathématiques sur la réalité physique (L'Epistémologie d'Hervé Barreau)

Extrait de "L'Epistémologie" d 'Hervé Barreau - PUF- Que sais-je ? page 48

(Hermite, mathématicien du XIXe, écrivait : )
« Il existe, si je ne me trompe pas, un monde formé d’un ensemble de vérités mathématiques auquel nous avons accès qu’au moyen de notre intelligence , comme dans le cas du monde de la réalité physique ; l’un et l’autre sont indépendant de nous, tous deux sont des produits de la création divine, mais sont une seule et même chose au regard d’une pensée plus puissante. La synthèse de ces deux mondes se révèle partiellement dans la merveilleuse correspondance entre les mathématique abstraites d’une part et toutes les branches de la physique de l’autre »
Cette doctrine de l’identité des deux mondes, (Page 50), celui dont nous esquissons les formes et celui dont nous recevons l’empreinte à travers la perception sensible, a été reprise aujourd’hui par un autre mathématicien, René Thom , qui voit une seule dynamique à l’origines de toutes les formes, qu’elle soient en nous ou hors de nous : « La dynamique intrinsèque de notre pensée n’est pas fondamentalement différente de la dynamique agissant sur le monde extérieur ». La question, en effet, est de faire disparaître l’étrangeté de la correspondance ,soulignée par Einstein, entre des idées abstraites et des processus concrets, alors qu’il est clair que les premiers ne dérivent pas des seconds .
Hermann Weyl, qui était intuitionniste dans sa philosophie des mathématiques pures, devenait platonicien dans sa philosophie des mathématiques appliquées. Il croyait à « une harmonie inhérente à la nature qui se réfléchit elle-même dans nos esprits ».
Mais c’est encore Lautman qui a exprimé avec le plus de justesse, semble-t-il, cette harmonie cachée qu’il est difficile de mettre en rapport avec l’historique des découvertes : « Les matériaux dont est formé l’univers ne sont pas tant les atomes et les molécules que ces grands couples de contraires idéaux comme le Même et l’Autre, le Symétrique et le Disymétrique associés entre eux selon les lois d’un harmonieux mélange.
Aujourd’hui la théorie des particules élémentaires serait une meilleure illustration à cette position de Lautman que les exemples qu’il pouvait produire lui-même.
C’est qu’il n’y a pas d’explication qui pourrait rendre compte de cette efficacité « déraisonnable » selon le mot du Physicien Wigner, des mathématiques sur la réalité physique.
Elle frappe et elle séduit, comme cette beauté, dont aucun théoricien des mathématiques ne peut donner raison, mais qui n’en constitue pas moins un indice frappant d’une réalité profonde. Que cette beauté ne soit pas seulement intérieure aux mathématiques pures mais qu’elle s’exprime également dans les théories de la physique mathématique, est une raison de plus pour tenir les mathématiques comme une expression, non seulement de la raison humaine, mais d’une raison transcendante à l’œuvre dans l’Univers. C’est pourquoi, alors que le logicisme et le formalisme rendent sensible la raison humaine dans son langage propre, l’intuitionnisme rendent davantage manifeste une raison créatrice dont l’Univers est un langage qui, comme le pressentait Galilée, est en grande partie accessible à notre langue mathématique.