dimanche 31 août 2008

La connaissance scientifique est fondée sur une succession de postulats (J.L. Dumoulin et Robert Heikes)

J.L. Dumoulin s’entretient avec Robert Heikes( 1ère partie)


(Robert Heikes est un savant de réputation internationale, élève d’Enrico Fermi, il est docteur en Physique d’une prestigieuse université Américaine et a été, entre autres, Directeur de recherche dans des Observatoires astronomiques de pointe, il vit actuellement dans le sud de la France et est le promoteur de postulats révolutionnaires tel que de celui la quantification de l'espace-temps)

JLD. Robert, avant d’en venir à tes postulats, j’aimerais que tu expliques à nos lecteurs, ce qu’est un postulat et comment les postulats font avancer la connaissance scientifique.
RH. Les postulats sont à la base de la connaissance scientifique. Ils sont une part essentielle de la méthode analytique. Trois postulats seulement et les symétries associées sont nécessaires pour expliquer tous les phénomènes après le temps de Planck (~10^-44 s après
t ≈ 0, là où la mécanique quantique et la relativité générale ne semblent plus s’appliquer.) Ce sont : la vitesse de la lumière(c), la constante de Planck (ħ), la constante gravitationnelle (G).
Les valeurs de ces trois constantes sont connues par des expériences et des mesures. Il n'y a actuellement aucune manière de parvenir à ces valeurs par des calculs théoriques.
JLD. Comment est-ce que nous arrivons à « savoir » ? En d’autres termes expliques-nous comment les savants peuvent arriver à faire avancer la connaissance scientifique ?
RH. En utilisant la méthode analytique. Je la définis de la manière suivante : suggestion de postulats, prévisions de résultats à partir de ces postulats et « vérification expérimentale » des résultats attendus.
Plus une série de postulats produira des prévisions vérifiables, plus ce ou ces postulats seront acceptables ainsi que la/les connaissances qui en découlent. Si un ensemble donné de postulats ne produit aucune prévision vérifiable, il est inutile au regard strict de l'enrichissement de la connaissance.
Si des résultats expérimentaux sont favorables à un postulat, chacun, en dehors de toute considération extrascientifique, considérera ce postulat comme plus acceptable que les postulats qui le précédaient
Un postulat ne peut pas être déduit d'autre chose. La science est entièrement basée sur des postulats qui par leur nature même sont impossibles à démontrer.
D’où nous viennent les postulats ? Nous les inventons, nous faisons des conjectures. Les postulats sont à l’origine des grands bonds de la science et de la connaissance. Il est nécessaire de trouver le plus petit ensemble de postulats qui nous permettent de comprendre un ensemble de phénomènes le plus vaste possible.
La connaissance a avancé de cette manière, elle n'est rien de plus qu'une prévision logique à partir de postulat(s). Plus clairement, une prévision découlant d’un postulat ne contient pas plus de "vérité" que ce postulat sur lequel la prévision ou théorie est elle-même basée.
Cependant, à ce stade, la méthode scientifique exige qu'on utilise ce même postulat pour prévoir des résultats plus généraux que ceux liés à l’étude de tel phénomène particulier ; car s'il ne peut en être ainsi, ce postulat est sans utilité pour la science, et il sera rejeté. Un postulat ne peut pas être avancé simplement pour expliquer un seul phénomène ! Autrement, nous aurions un nouveau postulat à chaque fait expérimental.
Si les prévisions initiales, fondées sur le postulat, sont confirmées, le postulat peut être maintenu, sinon, il sera abandonné. Mais même s’il est maintenu, la science continuera à le tester indéfiniment en faisant d'autres prévisions. Et si par hasard, une seule prévision du postulat n'est pas confirmée, le postulat sera considéré comme suspect et sera probablement abandonné.
J’insiste, la science ou la méthode analytique n'explique rien. Toute la science, en fait, toute la connaissance, est basée sur des postulats. Puisqu'un postulat n'a aucune preuve, toutes les "explications" doivent être considérées comme provisoires.
En science, il est impératif de douter. Rien n'est certain ou avéré en dehors du doute. Si nous regardons plus loin, nous constatons que les énonciations de la science ne portent pas sur ce qui est vrai ou sur ce qui n'est pas vrai, mais sur ce qui est connu avec différents degrés de certitude : il est beaucoup plus probable que ceci soit vrai et que cela soit faux. Chacun des concepts de la science est quelque part sur une échelle graduée entre le vrai et le faux. Il est très important de reconnaître l'ignorance.
JLD. Si je comprends bien, Robert, les nouveaux postulats sont souvent des généralisations d’anciens postulats.
RH. Une nouvelle théorie incorpore invariablement la théorie plus ancienne en tant que son approximation liée aux données expérimentales de son temps. La science a progressé d'une manière assez linéaire. La science est une reformulation continuelle du passé. Newton a généralisé les postulats de Galilée dont les résultats sont des approximations de ceux de Newton. Einstein a généralisé les postulats de Newton mais les résultats de Newton étaient une approximation de la théorie d'Einstein. Les résultats d'Einstein et d’Heisenberg, à leur tour, attendent leur généralisation.
JLD. Et maintenant peux-tu illustrer par quelques exemples ce que tu viens de nous dire ? Je suppose qu’il va s’agir de postulats qui fondent notre connaissance de l’univers et qui t’ont conduit à tes propres postulats ?
RH. Oui, tout a fait et surtout ce qu’il faut voir c’est que les postulats changent avec le temps. Je ne ferais pas une liste exhaustive, cela serait fastidieux pour tes lecteurs mais à la fin je te résumerai l’ensemble des postulats les plus récents. Commençons par le commencement :
Le postulat d’Euclide (environ 350 av J.-C.) : « on ne peut tracer une droite et qu’une seule passant par un point donné et parallèle à une autre droite. »
Sans ce postulat tu ne peux pas prouver que la somme des angles d’un triangle vaut 180 degrés. C’est la première tentative d’analyse de la géométrie de l’espace. Pendant 2000 ans la géométrie « Euclidienne » a été utilisée pour décrire la structure de l’univers.
Le postulat de Galilée et Newton (1600-1660 ap.J.-C.) : « Force = masse x accélération = m1a »
Ce postulat a été accepté pendant 240 ans. Rappelles-toi que c’est juste un postulat. C’est une invention de l’esprit de Newton.
Les postulats de Newton (environ 1670 ap. J.-C.) : « la force gravitationnelle est inversement proportionnelle au carré de la distance et proportionnelle aux masses. », « la masse gravitationnelle doit être égale à la masse inertielle ».

Le postulat de Riemann (environ 1865 ap. J.-C.) : « possibilité d'une géométrie non-euclidienne »
Il a eu l’idée d’ une géométrie où le postulat des parallèles d’Euclide ne serait pas valable. On peut avoir une géométrie où il n’y a pas de parallèle ou avec infiniment de parallèles. Ce sera la géométrie utilisée pour la Relativité Générale, 50 ans plus tard, en 1915. Ce sont les espaces courbes.
Le postulat de Planck (environ 1900 ap. J.-C.) : « L’énergie n’est pas continue ». La constante de Planck, ħ, est introduite.
A la fin du 19ème siècle, il y avait une difficulté dans la théorie du rayonnement de la lumière. La théorie disait que l’énergie dans l'ultraviolet devait être infinie. Cela ne pouvait pas être vrai.
L’énergie n’était pas continue contrairement à tout ce qui avait été admis jusqu’alors.
C’était le début de la Mécanique Quantique. Il a fallu un quart de siècle pour arriver à sa forme quasi définitive. C’est le travail d’Einstein, Bohr, Heisenberg, Schrödinger et Dirac.
Il est important de noter que la valeur de la constante de Planck doit être déterminée par l’expérience comme je l’ai déjà signalé en introduction. C'est donc aussi un postulat.
Le postulat d’Einstein (environ 1905 ap. J.-C.) : « la vitesse de la lumière est une constante universelle »
Albert Einstein a postulé que la vitesse de la lumière est une constante universelle et que toutes les lois de la physique sont valables dans n‘importe quel endroit de l’univers. Ce postulat a complètement modifié les postulats de Galilée, Newton et Maxwell. Il a résolu le débat entre Maxwell et Galilée. Il a montré que le temps et l’espace sont inextricablement liés. C’est la relativité restreinte.
Il est important de noter que la valeur de la vitesse de la lumière doit être déterminée expérimentalement… postulat.
Le Postulat d’Einstein (1915 ap. J.-C.) : « la masse inertielle est égale à la masse gravitationnelle. »
Albert Einstein a aussi proposé plus tard le principe d’équivalence (Relativité Générale) :
Si un homme est dans un vaisseau spatial, il ne peut pas faire la différence entre deux situations : (1) le vaisseau est en accélération et (2) le vaisseau est dans un champs gravitationnel.
C’est ce qui l’a conduit à la géométrie de Riemann et à la courbure de l'espace. Ce postulat remplace celui de Newton sur la gravité.
Il est important de noter que la valeur de la constante gravitationnelle doit être mesurée expérimentalement. C'est un postulat.
JLD. Tu nous montres bien que les postulats changent dans le temps à travers ces découvertes que nous connaissons déjà au moins par leur nom. Qu’en est-il des postulats plus récents qui t’ont conduit dans tes propres travaux?
RH. Il y a bien sûr les équations de Heisenberg, Schrödinger, Dirac qui développent la mécanique quantique.
Mais plus près de nous, il y a le postulat de Georges Gamov qui situe l’origine de l’univers au Big Bang.
Il y a aussi le postulat de l’inflation de Guth qui date des années 1980 : il apparaît que l’univers n’a pas pu commencer avec le Big Bang. Avant, il y a eu une énorme expansion de 10^50 fois. Elle se passe à 10^-34 s. après t ≈ 0. Nous sommes presque arrivés au « commencement » de l’univers.

(Suite de cet entretien dans un article ultérieur)