mercredi 17 septembre 2008

Au sujet de la connaissance scientifique

Réflexions sur la théorie des postulats de Robert Heickes par J.L. Dumoulin

Nous avons eu avec Robert Heikes un échange approfondi dont une partie a été publié sur ce blog le 31 août dernier.
Les présentes réflexions s’appliquent à cet entretien.



Robert nous dit que le postulat d'Euclide, celui sur les parallèles à une droite par un point serait en quelque sorte le premier postulat… pourquoi pas ?

Mais est-ce que c'était un « postulat » pour Euclide lui-même, au sens moderne du terme, au sens que lui donne Robert ?
N'est-il pas devenu un postulat qu'après coup, particulièrement lorsque l'idée de la géométrie non Euclidienne est apparue ?
Qu'est-ce que c'était « avant », pour son inventeur et pour ceux, nombreux, qui ont appris cet axiome ?

En fait le « postulat » d'Euclide » est retenu par Robert comme fondant une géométrie de l'espace physique sensible, il décrit « la physique », l'espace dans la nature terrestre.
Y avait il un « postulat » préexistant à celui d'Euclide puisque Robert nous dit que les postulats sont très souvent la généralisation de postulats antérieurs ?

Et s’il y avait « nécessairement » un ou des postulats préalables à celui d'Euclide, quels seraient-ils ?
Est-ce que ça serait :
 L'espace est une réalité générale qui partout a les mêmes propriétés, à Alexandrie, à Athènes mais aussi en Macédoine et même chez les barbares ?
Ou encore
 Les parties d'espace peuvent être définies par des lignes, ces lignes forment des figures, ces lignes entre elles et ces figures ont certaines propriétés que l'on peut saisir en esprit par le raisonnement ?
Ou encore
 Il y a moyen de présenter et énoncer les propriétés des figures d'une façon sensible et compréhensible ?

Et en remontant encore plus loin, pourrait-on trouver des postulats « ancêtres » de ces 3 dernières propositions de « postulats pré-Euclidiens » fictives ?
Quels seraient-ils?
Je ne vois que des mythes cosmogoniques et de création qui puissent jouer ce rôle du fait même qu'ils attestent bien qu'une réalité extérieure existe et qu'elle a une consistance pérenne. Le monde n’est pas un rêve. Le monde a été créé au titre d’événements dont la tournure a un sens. L’homme a son propre mode d’être au monde qui marque son appartenance à celui-ci mais l’en distingue également.

Ainsi cette généalogie de postulats qui raconte la science pourrait remonter aux mythes des temps reculés de l’humanité…

Robert paraît suggérer que les postulats arrivent naturellement …. L’idée pourrait alors venir que la science soit donc une sorte de machine :
On produit des postulats en très grande quantité, on regarde quelles implications ils peuvent avoir, on vérifie la réalité de ces implications et on qualifie les postulats dont les « prévisions » se » révèlent exactes. Cette version de la génération de la science prête instantanément à rire. Rien de tel ne correspond à la réalité ou au vécu du cheminement de la science. D’une part comme cela a été noté à maintes reprises par différents auteurs la découverte scientifique ne peut être détachée de son cheminement historique:
« Le deuxième principe qui devrait guider une épistémologie défendable (…..), c’est qu’elle n’est jamais séparable de l’Histoire des sciences » (Hervé Barreau- L’Epistémologie- PUF)
ou comme le souligne Gaston Bachelard :
« … un objet scientifique n’est instructeur qu’à l’égard d’une construction préliminaire à rectifier, d’une construction à consolider….
Le rationalisme est une philosophie qui continue ; il n’est jamais vraiment une philosophie qui commence. »

D’autre part les postulats contiennent une variété d’éléments nouveaux divers originaux, rien qui puisse suggérer la moindre standardisation, la moindre répétition. Cela peut être une notion ou une relation ou même l’existence d’une substance (par exemple la « matière noire »)…Le postulat n’est donc pas une simple hypothèse « directe » et n’a rien à voir avec le fait d’ « avoir une idée ». Par exemple pour énoncer son postulat de la force gravitationnelle, Newton a inventé le calcul différentiel.
Certains postulats supposent une vision de quelque chose, cette vision même si elle survient par le plus grand des hasards n’est pas le fruit du hasard, Poincaré écrivant des équations sur la capote d’un fiacre est une anecdote amusante mais il s’agissait de Poincaré et non pas du cocher du fiacre. C’est peut-être une possible illustration de ce que Bachelard écrivait au sujet des idées scientifiques :
« Tant qu’on a pas réalisé le double ancrage dans le monde du sujet et dans le monde de l’objet, la pensée n’a pas trouvé les racines de l’efficacité ».
Oui pensée, intellection, esprit….le tout dans le postulat de quelque chose par quelqu’un à un moment donné.
Robert insiste sur le fait que la valeur du postulat, c’est sa vérification au niveau de la réalité des phénomènes qui en seraient la conséquence. Pratiquement le postulat ne vaut que par sa vérification et d’ailleurs Robert généralise, toute idée, concept, notion…croyance ne valent que par la preuve de leur manifestation.
L’histoire montre que concevoir l’expérience de vérification n’est souvent pas une mince affaire et s’est parfois avéré être une affaire de génie avec mille péripéties. Mais Robert ne nous en parle pas, ceci rehausserait pourtant sa thèse qui est celle du primat de la vérification. Non il préfère nous rappeler la lignée des postulats, de leurs auteurs et de leurs dates. Nous le comprenons car une fois vérifié ce qui compte c’est le contenu du postulat, c’est par lui que nous apprenons quelque chose. Le postulat contient les intuitions, les visions et pour tout dire les intellections de son inventeur et nous ouvre l’esprit sur des matières, des notions, des relations inédites à leur époque.
Certes dans la physique moderne le contenu paraît si loin de toute interprétation sensible que seuls demeurent, pour le moment, des postulats désincarnés que seule la vérification pourra attester, c’est sans doute ce qui faisait dire à Gaston Bachelard :
« Le monde est alors moins notre représentation que notre vérification ».
Se satisfaire de cette connaissance indirecte serait aller vers l’assèchement de l’imagination et même de l’imaginaire, car finalement ce qui marche ou qui réussit serait reconnu comme seul réel or l’homme a besoin pour comprendre d’un réel dans son tout. Hervé Barreau l’a compris depuis longtemps :
« Mais l’idée d’un univers qui n’aurait aucun lien avec les moyens que nous possédons de l’identifier n’est qu’une pseudo- idée, un mythe plus inconsistant encore que les mythes d’autrefois. »
Un grand mathématicien, Von Neuman, je crois, a déclaré que l’on ne comprenait pas les innovations en mathématiques, on s’y habituait. De la même façon que l’on s’habitue à quelqu’un….Par ailleurs peut-être faut-il s’habituer à quelqu’un pour le comprendre.
Nous avons aimé la physique classique si habituelle et que nous comprenons si bien. Nous aimerons cette physique moderne à condition de puiser sans réserve dans les mythes qui sont constitutifs de notre existence cosmique. Nous avons bon espoir sur ce sujet car nous sommes persuadés que « certains aspects et fonctions de la pensée mythique sont constitutifs de l’être humain ».J.L. Dumoulin